Actu française: les avocats demandent l’abrogation de la loi du 5 août 2021
Les avocats réussiront-ils à faire tomber l’obligation de vaccination des soignants et, par la même occasion, leur suspension sans solde ? Pour ce faire, plusieurs d’entre eux ont déposé des questions prioritaires de constitutionnalité, afin de faire vérifier la conformité de la loi du 5 août 2021.
Par Alix Jouan
Ce ne sera pas faute d’avoir essayé. Depuis près d’un an, les avocats des soignants suspendus ont déposé une dizaine de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dans toute la France. Leur objectif : vérifier la constitutionnalité de la loi du 5 août 2021, dite loi « gestion de crise sanitaire », notamment ses articles 12 et 14 relatifs à l’obligation de vaccination des soignants.
Pour l’instant, toutes ces questions ont été rejetées par le Conseil d’Etat (en matière administrative) ou par la Cour de cassation (en matière judiciaire), mais les avocats restent déterminés et pleins d’espoir. L’un d’eux finira par aboutir et sera transmis au Conseil constitutionnel. Leurs regards sont actuellement tournés vers la cour d’appel de Montpellier, où une QPC a été plaidée le 4 octobre par Me Alexandra Soulier (voir ci-dessous). La délibération est imminente : on saura ce mercredi 30 novembre si la question est validée ou non. Le suspense…
Une autre QPC a été déposée auprès de la cour administrative d’appel de Nancy en mai 2022 (voir également ci-dessous), par Me Nancy Risacher du barreau d’Épinal et Me David Guyon, avocat de Montpellier spécialisé dans la défense des libertés fondamentales. Mais pour le moment, pas de nouvelles.
Des lois pas toujours constitutionnelles
Qu’est-ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité ? Il s’agit d’un dispositif légal assez récent (il date de 2008) qui permet de vérifier a posteriori la constitutionnalité d’une loi par le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas croire que toutes les lois promulguées sont conformes à la Constitution. En réalité, nombre d’entre elles n’ont pas été vérifiées, car pour être vérifiées, le Conseil constitutionnel doit être saisi dans les 15 jours réglementaires qui séparent l’adoption d’une loi par le Parlement et sa promulgation par le chef de l’État. Cette saisine, facultative, ne peut être faite que par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, ou par les parlementaires, à condition qu’il y ait au moins 60 députés ou 60 sénateurs. Ce sont généralement les députés de l’opposition qui le font. Mais si personne ne réagit, la loi entre en vigueur sans que sa constitutionnalité ait été vérifiée.
De plus, même si le Conseil constitutionnel est saisi, il ne répond qu’aux questions qui lui sont posées. Si la question est mal formulée, la bonne réponse ne sera pas donnée. Et si certains articles de la loi ne lui sont pas déférés, leur constitutionnalité ne sera pas vérifiée. Ce mécanisme, s’il a le mérite d’exister, reste imparfait.
Le droit de contester une loi en vigueur
Heureusement, depuis 2008, la question prioritaire de constitutionnalité permet à tout citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi a posteriori, c’est-à-dire après son entrée en vigueur. Pour ce faire, plusieurs conditions doivent être remplies : la QPC doit être déposée lors d’un procès, elle doit concerner un droit qui concerne la procédure en cours, elle doit être grave, c’est-à-dire déterminante pour le demandeur, et elle doit être nouvelle, c’est-à-dire ne pas concerner un aspect de la loi qui a déjà été revu. On comprend vite que tout dépendra de la pertinence de la question posée, de sa formulation et de la force de l’argumentation qui l’accompagne. Bref, un gros boulot pour un avocat.
Concernant la loi du 5 août 2021, le Conseil constitutionnel a en effet été saisi avant sa promulgation, tant par le Premier ministre, par plus de 60 députés que par 120 sénateurs. Cependant, les questions qui lui ont été soumises n’ont jamais porté sur l’obligation de vaccination des prestataires de soins, qui, en cas de refus, entraînerait la suspension de leur contrat sans rémunération. Or, la constitutionnalité de cette disposition est plus que douteuse selon les avocats des soignants suspendus. D’où la QPC déposée.
Peut-on être suspendu pour toujours ?
A la cour administrative d’appel de Nancy, la question rédigée par Me Risacher et Me Guyon porte sur l’absence de délai fixé par la loi pour la suspension sans solde des soignants non vaccinés. « C’est une histoire sans fin, ils peuvent être suspendus sans solde pour toujours, tout en étant encore sous contrat, et donc incapables de gagner leur vie ailleurs et ne pouvant bénéficier d’aucune aide sociale », a commenté Me Risacher, dont l’un des clients a été contraint vivre dans sa voiture. « Comment peut-on mettre les gens à la rue et les laisser languir indéfiniment sur le trottoir ? C’est contraire au principe de fraternité inscrit dans la Constitution », s’indigne à juste titre l’avocat spinalien.
De plus, une sanction sans fin devient nécessairement disproportionnée, pour ne pas dire cruelle. « Pour moi, le délai raisonnable est largement dépassé et il faudra sortir de cette situation d’une manière ou d’une autre. Si les soignants non vaccinés sont jugés inaptes au travail, leurs employeurs devraient prendre leurs responsabilités et proposer une solution », insiste Me Guyon.
De plus, le temps finira par rendre cette loi obsolète, puisqu’il est maintenant démontré que le vaccin n’empêche ni la contamination ni la transmission. Dans ce cas, quelle différence y a-t-il en termes de santé entre un soignant vacciné et un soignant non vacciné ? Aucun, mais on sait que tout cela n’a rien à voir avec la santé et n’est qu’une sanction politique envers ceux qui ont refusé d’obéir, la France étant désormais le seul pays au monde à ne pas avoir réintégré ses personnels de santé suspendus.
Les règles peuvent-elles être modifiées pendant le jeu ?
A la cour d’appel de Montpellier, Me Soulier a choisi un autre angle d’attaque pour sa QPC, plaidant l’atteinte à la liberté contractuelle. En effet, lorsque l’on signe un contrat, on en accepte librement les conditions, la forme et le contenu. Toute modification des termes du contrat doit donc logiquement se faire avec l’accord du cocontractant. Or, avec la loi du 5 août 2021, les soignants non vaccinés se sont retrouvés avec des règles contractuelles qui ont changé en cours de route, sans leur consentement, et avec des conséquences importantes, pour ne pas dire vitales, pour eux, puisque le non-respect de ces nouvelles règles entraînait la suspension immédiate de leur contrat, assortie d’une suspension de salaire.
Dans sa QPC, l’avocat soulève également la question de l’atteinte à la sécurité juridique. Mme Soulier pointe notamment les nombreuses modifications du décret d’application de la loi et l’incertitude face à un état d’urgence sanitaire plusieurs fois reporté au 31 juillet 2022. Là encore, c’est comme si les règles du jeu étaient en constante évolution, sans aucun moyen de savoir quand les nouvelles règles prendraient fin.
Enfin, comme ses deux confrères cités plus haut, l’avocate du barreau de Montpellier plaide l’atteinte à la liberté individuelle, à l’intégrité physique, à la liberté d’opinion et à la liberté de conscience.
Malgré sa pertinence, cette QPC rejoindra-t-elle le salon des refusés du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation ? Réponse ce mercredi.
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