Actualités françaises: À la frontière avec la Biélorussie, des Polonais au pied du mur

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Un an après la fin de la construction de la clôture censée empêcher les passages de migrants, les habitants de Podlachie, tout à l’est du pays, dénoncent une politique de la peur qui affecte leur vie.

De notre envoyé spécial en Podlachie,

Si ce n’étaient ses gyrophares et le mot « policja » qui barre ses flancs, on croirait à la voiture d’un cueilleur de champignons. À l’intérieur du véhicule stationné le long de la route forestière, deux policiers semblent compter les heures. Un grondement de moteur rompt soudain le silence. La tache sombre qui vient d’apparaître au loin grossit à toute allure. Un camion, puis deux, puis cinq. Les deux flics concernent le convoi militaire qui fonce vers la frontière d’un air absent. La routine.

Pas pour tout le monde. « On n’est pas en Israël. Voir l’armée partout n’est pas quelque chose de normal pour nous », s’emporte Slawomir Dron, tandis que sur le trottoir de son restaurant, deux biffins sirotent une cannette en discutant. Avant d’être restaurateur, l’homme était opticien. Et puis il ya huit ans, il s’est lancé dans la location de vélos. Bialowieza respirait alors la tranquillité avec ses rues ourlées de maisons de bois, ses hôtels et restaurants. On vient de loin pour découvrir sa forêt primaire, vieille de 10 000 ans, et sa réserve de bisons, les derniers d’Europe. Les visiteurs en profitaient souvent pour se promener en Biélorussie, à un jet de pierre. « La Biélorussie était un atout pour l’économie de Bialowieza », raconte son maire, Albert Litwinowicz. Aujourd’hui, la frontière est fermée à double tour et gardée par l’armée. Et si les touristes viennent toujours au bourg, leur nombre aurait presque diminué de moitié.

« Guerre hybride »

Comprendre les raisons de cette métamorphose impose de remonter le temps. Au mois d’août 2020, précisément. De l’autre côté de la frontière, le dirigeant Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis vingt-six ans, vient de remporter l’élection présidentielle avec un score de 80 %. Les manifestations contre le régime se multiplient. Elles vont durer des mois. La répression est féroce. Les autorités vont jusqu’à détourner un avion de Ryanair pour arrêter un opposant qui se trouvait à bord. Pour l’Union européenne, c’est la goutte d’eau : elle interdit son espace aérien aux avions biélorusses et gèle des projets d’investissement.

En guise de représailles, Alexandre Loukachenko pousse vers l’Europe des centaines de migrants originaires d’Afrique et du Moyen-Orient, attirés par la promesse d’une traversée facile. La Lituanie, la Lettonie et la Pologne dénoncent « une guerre hybride ». La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, une « tentative de déstabilisation menée par un régime autoritaire contre ses voisins démocratiques ». La forêt de Bialowieza, pourtant si dense et marécageuse, devient l’un des points de passages des exilés. « On a commencé à voir des migrants en août 2021. On les croisait sur les routes, dans les magasins. Il ya toujours eu des gardes-frontières ici, mais là, ils n’arrivaient plus à faire face », se souvient Albert Litwinowicz.

Solidarité

Varsovie décrète l’état d’urgence le mois suivant et lance la construction d’une clôture longue de 186 kilomètres à sa frontière orientale. En attendant, la zone est interdite aux non-résidents. « À partir de là, les touristes ont arrêté de venir, poursuit le maire. Des hôtels ont été obligés de renvoyer leur personnel. Leurs revenus ont diminué, même si une partie a été compensée par les aides versées par l’État. »

Les traversées, elles, se prolongent, toujours plus périlleuses avec le froid qui s’installe et les gardes-frontières polonaises qui repoussent systématiquement les exilés dans la forêt. Alors les habitants de la région s’organisent pour venir en aide aux migrants. Ils accrochent à l’entrée de leurs maisons des lanternes vertes, signe qu’ils peuvent y trouver du secours. À Werstok, l’avocat Kamil Syller et sa femme transforment une partie de leur propriété en entrepôt pour stocker des vêtements et des produits de première nécessité. Avec d’autres membres de leur réseau, ils partent chercher les personnes en danger de mort directement dans les bois. Celles qu’ils recueillent leur racontent les tortures infligées par les soldats biélorusses pour les contraindre à passer.

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À Michalowo, plus au nord, le maire Marek Nazarko décrit des gens qui arrivent transis de froid, des vêtements qu’il faut découper à même la peau, des blessures de barbelés si profondes que de simples bandages ne suffisent pas à les soigner. « Tous les ambassadeurs de l’UE ont défilé dans ma mairie pour être pris en photo avec moi, mais personne ne voulait nous aider, tout le monde faisait semblant », dénonce l’édile. Et de lâcher : « Qui veut travailler trouve une solution ; qui ne veut pas trouver une excuse. » Il a fait sculpter la phrase au-dessus de son bureau.

« La peur, c’est le pire »

Varsovie lève l’état d’urgence en juin 2022. La construction de la clôture est achevée. Coût estimé : 350 millions d’euros. À Bialowieza, les touristes reviennent progressivement. Jusqu’à ce qu’une nouvelle menace surgisse cet été. L’arrivée des mercenaires de Wagner en Biélorussie après leur coup de force avorté contre le régime de Vladimir Poutine fait craindre des infiltrations en territoire polonais. Slawomir Dron, le restaurateur, ressent « un coup terrible ». Plus dur encore que l’inflation galopante qui plombe le pouvoir d’achat des Polonais. « La peur, c’est le pire. Parce qu’elle touche toutes les classes sociales », constate-t-il.

D’autant que le parti Droit et justice (PiS) au pouvoir ne fait rien pour l’apaiser. Au contraire, même : en campagne pour un troisième mandat, il surfe dessus. Dans la salle à manger de son hôtel trois étoiles, Marek Czarny déplore une atmosphère anxiogène qui nuit au tourisme. En deux ans, la fréquentation de son établissement a diminué de 30%. « Comment promouvoir cette région avec un Premier ministre qui vient faire campagne en se rendant près de la clôture, en se mettant en scène au côté des militaires ? Il ferait mieux d’aller voir les professionnels du tourisme et montrer que tout va bien », dénonce Slawomir Dron.

Afin de mobiliser son électorat, le parti gouvernemental a soumis la question du maintien de la clôture à un référendum organisé ce dimanche 15 octobre, en même temps que les législatives. « Absurde, critique l’avocat Kamil Seller. Il aurait fallu l’organiser avant de la construire. » La plupart des personnes rencontrées à la frontière sont en tout cas du même avis : maintenant que la clôture est installée, autant la laisser là. Elle a au moins le mérite de juguler les flux, pensez-elles.

Mais si les traversées ont diminué, elles n’ont pas arrêté pour autant. Les exilés continuent de passer en escalade, au risque de se briser les os. D’autres, mieux équipés, scient les barreaux ou les écartent à l’aide d’un cri. « La clôture n’a pas stoppé les passages, elle les a simplement rendus plus dangereux », pointe Kamil Vendeur. Régulièrement, avec une vingtaine d’autres militants, il part en forêt à la recherche de cadavres. En deux ans, 350 morts ont été recensés. Sans compter tous ceux que la forêt a engloutis.

Avec la collaboration d’Adrien Beauduin

Bibliographie :

Affaire Priore/Le Calendrier de l’Affaire Priore/1962.,Redirection vers la description .

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